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AUGMENTATION DE LA MASSE DES TRAVAUX SOUS-TRAITÉS ET PAIEMENT DIRECT : DES OBLIGATIONS RENFORCÉES.

Par un arrêt rendu le 2 décembre 2019, n°422307, le Conseil d’Etat a précisé les obligations respectives du maître d’ouvrage, du titulaire du marché et du sous-traitant, en cas de réalisation par le sous-traitant de travaux qui entrent dans les prévisions du marché principal et ne constituant donc pas des travaux supplémentaires, mais excèdent le montant figurant à l’acte spécial de sous-traitance.

Dans le cadre de la procédure de paiement direct fixée par la loi n° 75-1134 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance et le code de la commande publique [1], le montant à verser par le maître de l’ouvrage au sous-traitant ne peut en principe excéder la double limite du montant dû au titre du marché principal, et du montant figurant à l’acte spécial de sous-traitance correspondant aux prestations sous-traitées.

Par un arrêt rendu le 2 décembre 2019, n°422307, le Conseil d’Etat a précisé la démarche à suivre par le maître de l’ouvrage dans l’hypothèse où il a connaissance de la réalisation par le sous-traitant de travaux excédant le montant figurant à l’acte spécial de sous-traitance, bien qu’entrant dans les prévisions du marché principal et ne constituant donc pas des travaux supplémentaires.

Dans cette affaire, le département du Nord a conclu, le 2 mars 2007, un marché à bons de commandes d’une durée d’un an renouvelable trois fois portant sur la réalisation de travaux de signalisation verticale, dont une partie a été sous-traitée.

Le département qui avait connaissance de ce que le plafond prévu dans l’acte spécial de sous-traitance avait été dépassé, a néanmoins versé à l’entreprise principale, sans autre démarche préalable, les sommes correspondantes aux travaux exécutés par le sous-traitant au-delà du montant maximal fixé par l’acte spécial.

L’entreprise principale ayant été placée en liquidation judiciaire, la société sous-traitante a sollicité du département le règlement de prestations excédant le montant figurant à l’acte spécial et saisi ensuite le Tribunal administratif, qui a rejeté sa requête. La société sous-traitante a obtenu partiellement gain de cause en appel. Le département du Nord s’est alors pourvu en cassation contre l’arrêt du 18 octobre 2016 rendu par la Cour administrative d’appel de Douai. Par la voie d’un pourvoi incident, la société sous-traitante a demandé l’annulation de l’arrêt, en tant qu’il n’a fait droit que partiellement à sa requête d’appel.

I- Une nouvelle obligation de mise en demeure à la charge du maître de l’ouvrage.

Faisant une application combinée des dispositions des articles 106 et 114 du Code des marchés publics alors en vigueur [2] et de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, le Conseil d’Etat a précisé « Qu’il incombe au maître d’ouvrage, lorsqu’il a connaissance de l’exécution, par le sous-traitant, de prestations excédant celles prévues par l’acte spécial et conduisant au dépassement du montant maximum des sommes à lui verser par paiement direct, de mettre en demeure le titulaire du marché ou le sous-traitant de prendre toute mesure utile pour mettre fin à cette situation ou pour la régulariser, à charge pour le titulaire du marché, le cas échéant, de solliciter la modification de l’exemplaire unique ou du certificat de cessibilité et celle de l’acte spécial afin de tenir compte d’une nouvelle répartition des prestations avec le sous-traitant ».

En l’espèce, la Haute Juridiction considère donc que le département, ayant eu connaissance du dépassement du plafond de l’acte spécial, aurait dû mettre en demeure le titulaire ou le sous-traitant de régulariser la situation ou d’y mettre fin. En l’absence d’une telle démarche, le comportement du département est considéré comme fautif et il doit indemniser le sous-traitant sur un fondement quasi-délictuel…

Une nouvelle obligation est ainsi mise à la charge du maître de l’ouvrage, découlant indirectement du principe déjà posé par la jurisprudence selon lequel, dans l’hypothèse où le maître de l’ouvrage a connaissance pendant l’exécution du marché public de l’intervention d’un ou plusieurs sous-traitants non déclarés, il doit mettre en demeure le titulaire de procéder à la régularisation de la sous-traitance. A défaut d’une telle mise en demeure, sa responsabilité à l’égard du sous-traitant peut être engagée pour faute [3].

Le maître de l’ouvrage doit donc être attentif quant à l’avancement des travaux sous-traités, alors même qu’il ne dispose pas nécessairement des capacités en interne pour déterminer ce qui relève ou non des prestations sous-traitées…

En l’espèce, il faut relever que les pièces soumises aux débats, et notamment, certains échanges de courriers, faisaient expressément apparaître que le maître de l’ouvrage avait connaissance du dépassement de la masse des travaux figurant à l’acte spécial.

La décision rendue n’aurait sans doute pas été la même si cette connaissance du dépassement de l’acte spécial par le maître de l’ouvrage n’avait pas été démontrée.

Il n’en demeure pas moins que cet arrêt vient alourdir les obligations du maître d’ouvrage. Or, les pouvoirs et obligations mises à la charge de l’acheteur public sont déjà conséquents.

Il lui appartient, notamment, en amont et pendant l’exécution du marché, de :

  • S’assurer de l’agrément et de l’acceptation des sous-traitants [4] ;
  • Contrôler que le montant de la sous-traitance n’est pas anormalement bas [5] ;
  • En cas de refus opposé par le titulaire concernant la demande de paiement direct, le maître de l’ouvrage ne peut se contenter de simples déclarations du titulaire et doit ainsi contrôler que le refus est bien motivé. Ne constitue pas un refus motivé pouvant fonder un rejet de la demande de paiement direct, le refus notifié par le titulaire postérieurement au délai de quinze jours [6] ;
  • Contrôler la consistance, l’effectivité de la réalisation des travaux sous-traités et la créance du sous-traitant, ainsi que la conformité au marché des travaux sous-traités, quand bien même la demande de paiement direct aurait été explicitement ou tacitement acceptée par le titulaire [7].

Le Conseil d’Etat avait précédemment eu à trancher la problématique inverse de la diminution par l’acheteur et le titulaire de l’acte spécial de sous-traitance en raison de l’inexécution de certaines prestations sous-traitées, du retard dans l’exécution des prestations, ou encore pour tenir compte d’une mauvaise exécution des travaux [8].

L’acheteur et le titulaire ne peuvent donc pas réduire unilatéralement le droit au paiement direct du sous-traitant dans le but de tenir compte des conditions dans lesquelles les prestations sous-traitées ont été exécutées. La diminution de la masse des travaux sous-traités doit faire l’objet d’un avenant au contrat de sous-traitance accepté par le titulaire.

En revanche, il ne ressort pas de la jurisprudence que dans le cas où il aurait connaissance d’une telle diminution, le maître d’ouvrage devrait mettre en demeure le titulaire ou le sous-traitant de régulariser la situation en procédant à la modification du contrat de sous-traitance et de l’acte spécial. Cela peut s’expliquer par le fait que dans une telle situation le droit au paiement direct du sous-traitant demeure préservé.

Le maître de l’ouvrage ne peut pas, par ailleurs, utiliser la procédure de paiement direct pour sanctionner le sous-traitant, aucun lien contractuel n’existant entre eux.

Il sera relevé à ce titre, qu’une action en responsabilité quasi-délictuelle ne peut être engagée par le maître d’ouvrage à l’encontre du sous-traitant qu’à titre résiduel, en cas de défaillance de l’entrepreneur principal [9].

II- Partage de responsabilité.

La responsabilité du maître de l’ouvrage n’a cependant pas été retenue en totalité dans cette affaire.

Les juges du Palais Royal ont confirmé, sur ce point, l’arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Douai, en ce qu’elle n’a fait droit que partiellement aux demandes du sous-traitant et a opéré un partage de responsabilité à proportion égale entre le maître de l’ouvrage, le sous-traitant et la société titulaire du marché principal.

La Cour avait estimé que le sous-traitant avait commis une faute en poursuivant l’exécution des travaux « sans s’assurer que sa situation avait été régularisée ».

La société titulaire est quant à elle fautive d’avoir négligé « de soumettre à l’agrément du département les conditions de paiement du sous-traitant pour les prestations en cause ».

Le Conseil d’Etat a, par conséquent, rejeté le pourvoi du département et le pourvoi incident de la société sous-traitante.

Chacun des intervenants est ainsi tenu de régulariser une telle situation. A défaut, sa responsabilité peut être retenue en cas de litige.

Notes :

[1] Articles L2193-10 et suivants et R2193-10 et suivants (marchés publics classiques)[2] Ces dispositions sont désormais codifiées aux articles R2193-5 et suivants du Code de la commande publique[3] CE 28 mai 2001,req. n°205449[4] CE 28 mai 2001,req. n°205449[5] Article R. 2193-9 du code de la commande publique[6] CE 25 novembre 1994, req. n°8534 ; CAA Paris 3 juin 1997, req. n°96PA01215 ; CE 27 janvier 2017, req. n°397311 ; CE 21 février 2011, req. n°318364[7] CE 9 juin 2017, req. n°396358[8] CE 27 janvier 2017, req. n°397311 ; CE 27 mars 2017, req. n°394664[9] CE 7 décembre 2015, Commune de Bihorel, req.n°380419, publié au recueil Lebonl

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