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SANCTION DE DÉRÉFÉRENCEMENT DES ORGANISMES DE FORMATION PAR LA CAISSE DES DÉPÔTS ET CONSIGNATIONS : LES RECOURS POSSIBLES.

Les décisions de sanctions sont susceptibles d’être contestées devant les juridictions administratives. Le présent article présente les différents recours susceptibles d’être mis en œuvre, ainsi qu’un bref panorama des arguments et moyens juridiques susceptibles d’être invoqués.

Des sanctions administratives de déréférencement infligées en masse aux organismes de formation par la Caisse des dépôts et consignations dans un contexte de déficits publics engendrés par le dispositif CPF.

1– Depuis le 1er janvier 2019, chaque salarié ou travailleur indépendant actif dispose d’un Compte personnel de formation (CPF) crédité en euros, qui peut être mobilisé par le titulaire ou son représentant légal afin de suivre, à son initiative, une formation.

Par ailleurs, depuis le 1er janvier 2020, les droits acquis dans ce cadre, peuvent être directement convertis et mobilisés dans le cadre de la mise en place du service dématérialisé « Mon Compte Formation » accessible via le site internet moncompteformation.gouv.fr (https://www.moncompteformation.gouv.fr).

Une personne qui a acquis des droits à la formation peut ainsi se connecter sur ce site et utiliser directement le solde de son compte via le moteur de recherche du site (nature de la formation recherchée, mode d’enseignement privilégié, dates, zone géographique, coût, etc.). La plateforme permet ensuite de réaliser directement une demande de formation en ligne.

2– La Caisse des dépôts et consignations (CDC), Etablissement Public spécial, est habilitée à recevoir la part de la contribution des employeurs destinée au compte personnel de formation, celle destinée au financement du compte personnel de formation des titulaires d’un contrat à durée déterminée, au financement du CPF pour les travailleurs handicapés versés par les établissements ou le service d’aide par le travail ou au financement des actions de formation des créateurs ou repreneurs d’entreprise pour les travailleurs non-salariés [1].

L’article L6323-9 du Code du travail prévoit également que la Caisse des dépôts et consignations gère le compte personnel de formation, le service dématérialisé, ses conditions générales d’utilisation et le traitement automatisé des données. Les conditions générales et particulières d’utilisation précisent les engagements souscrits par les titulaires du compte et les prestataires.

La Caisse des dépôts et consignations procède également au paiement des organismes de formation après réception des informations nécessaires au débit des droits inscrits sur le compte personnel de formation et vérification du service fait [2].

3– A ce titre, l’action de formation à l’accompagnement et au conseil à la création et reprise d’entreprise est éligible au compte personnel de formation dans le cadre de l’article L6323-6 du Code du travail.

La mise en place de Mon Compte Formation et la monétisation des droits à la formation professionnelle, voulu par Emmanuel Macron, a suscité un véritable engouement, accentué par le confinement imposé dans le cadre de la crise sanitaire, conduisant de nombreux salariés à se former, à remettre en cause leur parcours professionnel, voire, à créer leur propre entreprise.

4– Cependant, le dispositif Mon Compte Formation ayant été réalisé sans anticiper le besoin de financement complémentaire, notamment en ce qui concerne la dotation versée par l’Etablissement Public France Compétences à la Caisse des dépôts et consignations pour assurer le financement du CPF, la Commission des affaires sociales du Sénat relevait dans un rapport récent que « le déficit de France compétences pourrait ainsi avoisiner 5,9 milliards d’euros en 2022 après avoir atteint 4,6 milliards d’euros en 2020 et 3,2 milliards en 2021 ».

Par ailleurs, les dispositifs de contrôle insuffisants, et un nombre important de fraudes ont accéléré la réforme du dispositif par les pouvoirs publics. Cf., sur ce point le rapport de la Commission des affaires sociales du Sénat : https://www.senat.fr/presse/cp20220…

La Cour des comptes a présenté un rapport alarmiste sur le financement de l’Etablissement Public Frances Compétences dans le cadre de la formation en alternance, après avoir également adressé le 5 avril 2022 un référé au Ministre de l’emploi, du travail et de l’insertion, ainsi qu’au Ministre de l’économie, des finances et de la relance : https://www.ccomptes.fr/fr/publicat… et https://www.ccomptes.fr/fr/document…

5– Face à ce constat, dans le cadre de son programme à l’élection présidentielle, Emmanuel Macron s’est engagé à poursuivre la réforme de la formation professionnelle en évaluant les résultats des formations afin de tenir compte de leurs débouchés, et éventuellement, en procédant à un « MonCompterencement ». Plusieurs mesures se sont ensuite succédées à cette fin.

Dans cette logique, le Répertoire spécifique des organismes certificateurs pour la formation professionnelle réalisé par France compétences a été réduit en fin d’année 2021, et une partie des organismes de formations référencés par d’autres organismes certificateurs que ceux visés par la liste, ont ainsi vu leurs offres de formations perdre leur éligibilité au CPF.

En conséquence de ce déréférencement, un report a été opéré par certains organismes de formations sur les formations en matière d’aide à la création-reprise d’entreprise (ACRE), éligibles au compte personnel de formation, à l’époque, sans certification.

6– Depuis le 1er janvier 2022, les Organismes de formation proposant des formations éligibles au CPF, dont les formations ACRE, doivent être certifiés Qualiopi, certificat délivré à la suite d’un audit, visant à garantir une finalité professionnelle répondant aux critères mis en place par la loi « Avenir professionnel ». La mise en œuvre de cette obligation a été assouplie par l’article 2 décret n° 2021-1851 du 28 décembre 2021, qui aménageait une période de transition, permettant aux organismes de formations concernés de transmettre à la CDC avant le 1er avril 2022, un justificatif de leur engagement dans la démarche de certification.

Compte tenu de l’obligation de certification, le nombre d’organismes de formations à la création-reprise d’entreprise (ACRE) accessibles sur la plate-forme Mon Compte Formation a fortement diminué entre la fin 2021 et début 2022.

7– Par décret n° 2022-649 du 22 avril 2022, publié au JORF n°0097 du 26 avril 2022, la finalité et les critères d’éligibilité des actions de formations à l’accompagnement et au conseil à la création et reprise d’entreprise ont été précisés et codifiées à l’article D6323-7 du Code du travail.

Profitant de l’entrée en vigueur de ce texte, et seulement huit jours après sa publication, sans mise en œuvre de mesures transitoires, la Caisse des dépôt et consignations a mis en œuvre une campagne de contrôle et de déréférencement massif des Organismes de Formations dans ce secteur, en adressant des milliers de courriers génériques de lancement de procédures « contradictoires ».

Par la suite, la CDC a ainsi procédé, en quelques mois, par le biais de sanctions administratives, au déférencement de la majorité des organismes de formations privés intervenant en matière d’ACRE, pour une durée de neuf mois, et ce, pour l’ensemble de leurs offres, y compris pour des offres sans rapport avec l’ACRE.

Plusieurs médias spécialisés dans le secteur de la formation professionnelle ont relayé et dénoncé cette pratique, mettant en difficulté les nombreuses entreprises concernées, et entraînant des pertes d’emplois pour leurs salariés et dirigeants [3].

8– Si certains organismes de formations non fraudeurs ont pu obtenir, au fil du temps, après de nombreuses démarches et l’exercice de recours préalables, d’être référencés à nouveau sur la plateforme « MonCompteFormation », d’autres ont engagé des recours devant les juridictions administratives.

Il faut noter, sur ce point, que la procédure de Médiation mise en œuvre dans le cadre du dispositif Mon Compte Formation, n’est pas à privilégier en cas de graves difficultés économiques engendrées par les sanctions prononcées.

Par ailleurs, dans l’espoir d’une issue amiable, certains organismes ont également pu laisser expirer les délais de recours contentieux, pensant que leur situation allait être réexaminée, sans succès. Il convient donc pour les organismes concernés de faire preuve d’une grande réactivité, pour contester les décisions en litige.

Plusieurs recours sont susceptibles d’être mobilisés pour contester les décisions de sanctions infligées, parfois non sans une certaine forme « d’arbitraire », et solliciter, éventuellement, une indemnisation du ou des préjudices subis.

L’exercice d’un recours administratif préalable.

Tout d’abord, un organisme de formation souhaitant contester une décision de sanction prise à son encontre pourra saisir la CDC d’un recours administratif préalable.

Sur ce point, il faut noter que les conditions générales d’utilisation de la Plateforme MonCompteCPF, prévoient qu’en cas de différend « entre un Titulaire de compte ou un Organisme de formation et la CDC, le Titulaire de compte ou l’Organisme de formation adresse à la CDC un courrier de réclamation par LRAR » de sorte qu’il est recommandé d’adresser au préalable un tel recours, qui suspend les délais de recours contentieux.

Le dispositif MonCompteFormation et sa mise en œuvre étant récente, il n’existe pas de jurisprudence relative à la recevabilité d’un recours qui serait introduit directement devant le juge administratif en cas de litige, les termes des conditions générales d’utilisation de la plateforme étant ambigus.

Outre l’ambiguïté de ces « conditions générales et particulières d’utilisation » leur nature et qualification juridiques, présentées comme étant contractuelles, restent toutefois à définir… S’agit-il véritablement d’un contrat compte tenu de l’unilatéralité des conditions imposées et de leurs modifications (sans compter les pouvoirs dévolus à la CDC) ? Les règles et principes applicables en matière de contrats administratifs doivent elles s’appliquer ? Autant de questions qui devront être tranchées par le juge administratif à l’occasion d’éventuels litiges.

Dans le doute, l’envoi d’un courrier de réclamation, sous forme de recours administratif préalable en LRAR, est donc préconisé.

En cas de menace pour la survie économique de l’organisme de formation : la mise en œuvre possible de recours en référés d’urgence.

En cas d’urgence, qui peut être notamment démontrée par la production de pièces justifiant des difficultés économiques rencontrées par l’entreprise concernée (attestation comptable, Bilan, relevés de comptes bancaires, etc.), deux types de recours peuvent être envisagés devant le juge des référés administratif :

Le recours en référé liberté prévu à l’article L521-2 du Code de Justice Administrative.

Dans le cadre de ce recours, le juge des référés peut ordonner, dans un délai extrêmement bref de 48 heures, toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale.

Pour que le recours soit recevable, le requérant doit établir l’urgence de la mesure sollicitée, ainsi qu’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, étant précisé que :
- la condition d’urgence prévue à l’article L521-2 du Code de justice administrative est remplie lorsque l’équilibre financier d’une entreprise est menacé à brève échéance ;
- la liberté d’entreprendre et la liberté du commerce et de l’industrie ont été érigées au rang de libertés fondamentales par le Conseil d’Etat.

La suspension de la sanction peut notamment être sollicitée, et cette mesure peut être assortie d’une demande éventuelle d’injonction et d’astreinte.

Le recours en référé suspension prévu à l’article L521-1 du Code de Justice Administrative.

Couplé à un recours « au fond » en annulation ou en réformation, le juge des référés peut ordonner, sur ce fondement, la suspension de l’exécution de la décision contestée, ou de certains de ses effets, à condition, de démontrer une urgence, ainsi que l’existence d’un moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision (illégalité manifeste).

La suspension prend fin au plus tard lorsqu’il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision.

A noter : ce recours peut être exercé après un recours en référé liberté qui aurait été rejeté. La condition d’urgence est, de plus, appréciée différemment et moins strictement dans le cadre d’un référé suspension qu’en matière de référé liberté, bien qu’il s’agisse également d’une condition de recevabilité.

Ce recours peut donc être intéressant, en ce qu’il permet d’obtenir rapidement une décision, qui peut également être assortie d’une injonction et/ou d’une astreinte.

Les recours au fond devant les juridictions administratives.

Outre les recours en référés, un organisme de formation qui souhaite contester une sanction infligée par la CDC, peut saisir le Tribunal administratif compétent d’un recours en annulation de la décision.

Pour rappel, l’exercice d’un tel recours en annulation est nécessaire dans l’hypothèse où l’organisme de formation souhaite également exercer un référé suspension, puisqu’il s’agit d’une condition de recevabilité d’un tel référé.

Par ailleurs, en cas de préjudice subi du fait d’une décision ou sanction irrégulière, il peut également être envisagé de saisir le juge administratif d’un recours indemnitaire, en vue d’en solliciter la réparation. Une demande indemnitaire préalable devra néanmoins être adressée à la CDC, sous peine d’irrecevabilité.

La démonstration du préjudice subi doit être apportée dans ce cas, de même que l’irrégularité fautive de la décision contestée.

La Médiation.

Dans l’hypothèse où l’organisme de formation souhaiterait privilégier un règlement amiable du litige, dans le cas, notamment, où sa situation économique ne serait pas menacée, il est possible d’avoir recours aux services de Médiation du Groupe Caisse des dépôts. Une médiation conduite par la Médiatrice du groupe Caisse des dépôts pourra alors être recherchée.

Il conviendra toutefois de demeurer vigilant quant au délai de recours contentieux de deux mois, dans l’hypothèse où la mise en œuvre de la procédure de Médiation tarderait à être engagée. Mieux vaut également, pour les OF, se méfier des éventuelles promesses informelles d’étude du dossier et de levée de sanction par les services concernés, sans prise de décision formelle, ainsi que d’une prétendue saisine des services de Médiation de la CDC, qui ne seraient pas très rapidement suivies d’effet.

Enfin, les parties ont également la possibilité de solliciter une médiation en adressant une demande en ce sens au tribunal administratif avant ou après l’introduction de la requête, ce qui suspend les délais de recours contentieux. Le juge administratif a également la possibilité de proposer une médiation aux parties.

Dans certains cas, le recours à une médiation pourra être préconisé et s’avérer particulièrement intéressant. Ce point devra donc être étudié soigneusement en amont.

Les moyens et arguments pouvant être invoqués dans le cadre des recours contentieux.

Il sera possible, dans le cadre d’un recours, d’invoquer des irrégularités externes affectant la décision en litige (Par exemple : incompétence de l’auteur de l’acte, absence de suivi de la procédure contradictoire conformément aux conditions d’utilisation, défaut de consultation de la commission ad’hoc, absence de motivation).

Par ailleurs, d’autres arguments et moyens tenant à la régularité interne de la décision sont également susceptibles d’être invoqués sur le fond, dont, notamment :
- l’absence de respect des droits de la défense à défaut de précision sur les griefs formulés à l’encontre de l’Organisme de Formation et de précision sur les justificatifs attendus ;
- l’absence de respect du principe d’impartialité de la CDC qui intervient pour gérer le dispositif, instruire « à charge » la procédure contradictoire, et sanctionner les organisme de formation ;
- la violation du droit européen en matière de libre établissement ;
- l’erreur manifeste d’appréciation affectant la décision en litige ;
- la violation du principe de proportionnalité des sanctions.

D’autres moyens et arguments pourront, le cas échéant, être étudiés et invoqués, au cas par cas, à l’appui des éventuels recours à mettre en œuvre. Il convient pour les organismes concernés de faire preuve d’une particulière réactivité et de se faire accompagner par un avocat sensibilisé à ces problématiques, et au fait des règles de procédure administrative contentieuse, ainsi que des modes alternatifs de règlement des différends, dont la Médiation.

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